Chronique sur Mowno
"Collector est le troisième album de Chapi Chapo. Plus encore que les précédents, il se revendique comme un objet musical élaboré à partir des sons de presque 80 jouets électroniques collectés au fil des années. Avouons-le, la première envie qu’on a en se penchant sur l’album, c’est de s’abandonner au plaisir régressif de l’identification de tous les échantillons. Mais on se lasse vite du jeu tant l’intérêt du musicien n’était évidemment pas dans l’agglomérat d’un matériau existant, trop facile, mais bien dans la recomposition de ses propres thèmes et atmosphères.
Patrice Elegoet ne laisse en effet que peu d’espace aux nostalgiques qui voudraient se replonger dans des retrouvailles émues avec les modulations 8 bits fausses et éraillées de leur enfance, abandonnées au fond des coffres à jouets. En tout et pour tout, deux pistes seulement – les instrumentales Let’s et Hot Lixx – laissent à s’amuser à détailler la trame et retrouver les échantillons originaux. Pour le reste, et dès les premiers accords de When We Was Older, on sait qu’on n’est pas à la garderie : la voix profonde de Maxwell Farrington (Dewaere) impose une une gravité cold-wave à la composition. On range rapidement les jouets pour entrer dans un véritable album d’électro-pop, propre et efficace.
Chapi Chapo confie le chant à des guests différents sur chaque titre. Une démarche qui a pour effet d’offrir une musicalité très vaste, de la crédibilité (si c’était encore nécessaire), une réelle ambition à sa démarche, et qui évite surtout de nous faire sombrer dans la lassitude, au risque – à l’inverse – de manquer parfois de ‘liant’. Ainsi, dans une première partie très pop, Laetitia Sheriff embrase Nothing Stand Still de mélancolie et de lyrisme, Jad Fair (Half Japanese) colle avec humour et légèreté aux trépidations électro-pop de It’s Fate, et dans un registre plus atmosphérique, Rachel Barreda Horwood plane sur les samples de The Hurdles. Dans la seconde partie de l’album, G.W. Sok puis Tiny Feet apportent une énergie rageuse et une efficacité électro-punk à No No No No No puis Seller Keller, des titres aux riffs simples et obstinés avant que Troy Von Balthazar (Chokebore) n’étire l’exercice de style dans une rêverie mélancolique parfaitement ajustée.
Chapi Chapo réussit idéalement son exercice d’équilibriste : à l’écoute de Collector, on oublie rapidement la curiosité qui nous avait amenés là, pour se laisser prendre par un album brillamment élaboré de bout en bout. Patrice Elegoet ne nous propose pas ce qui se fait déjà, comme convertir avec un orchestre philharmonique des musiques de jeux vidéo déjà autoproclamées références d’une culture numérique triomphante. Sa démarche est bien plus savante : il va chercher les sons orphelins, les bruits abrutissants, laissés pour compte du panier à jouets, et leur offre une revanche créant l’osmose avec la pop culture, par une reconstruction musicale juste et inspirée."
Par Nicolas Rivet ☆ Mowno